lundi 6 février 2012

L’approche programme en Sciences humaines : ça sert à quoi?

D’abord un peu d’histoire…
Depuis la naissance des cégeps, les départements d’enseignement ont constitué le mode organisationnel privilégié dans les cégeps. D’un côté, il y a les programmes techniques qui s’articulent autour d’un département maître d’œuvre du programme et de l’autre, les programmes préuniversitaires, composés dans la plupart des cégeps d’un nombre variable de départements d’enseignement. En Sciences humaines, ces départements sont constitués d’une seule discipline ou en regroupent quelques-unes, lorsque le nombre de professeurs est insuffisant.  Dans les petits cégeps, lorsqu’il y a un département de Sciences humaines, il rassemble la plupart des disciplines de la formation spécifique, un peu comme dans les programmes techniques. À ces départements disciplinaires se greffe la formation générale, elle aussi articulée en différents départements : français, philosophie, éducation physique et anglais. La formation complémentaire, issue de divers départements, complète ce tableau. 
Le choix du mode organisationnel départemental institué à l’origine des cégeps était un calque du  modèle universitaire. Or, cette manière de construire les programmes d’enseignement dans les collèges a eu quelques effets pervers, surtout au préuniversitaire. C’est probablement le programme Sciences humaines qui a été le plus affecté par cette situation. Voici quelques problèmes fréquemment soulevés, en ce qui a trait à l’organisation des cégeps en départements d’enseignement.
L’intégration de la formation générale et complémentaire au programme d’enseignement
La formation générale (F.G.) constitue une portion importante des programmes d’enseignement. Elle est souvent citée comme l’élément qui donne la couleur aux cégeps et qui traduit le mieux la spécificité de cette institution. En Sciences humaines, elle constitue environ 45 % de la formation.  Conséquemment, c’est une dimension quantitativement très importante de ce parcours collégial. Les reproches adressés historiquement à la formation générale portaient principalement sur sa tendance à fonctionner parallèlement aux programmes d’étude. En outre, certains programmes techniques ont reproché à la F.G. les taux d’échec de leurs étudiants.  D’autres encore auraient apprécié davantage de soutien et de collaboration de la part de la F.G. ou des cours qui colleraient mieux à leur programme. L’idée d’adapter les cours aux différents programmes a été mal reçue par plusieurs professeurs de F.G. Ils y voyaient une atteinte à leur autonomie professionnelle et aussi un risque de dénaturer le sens de la F.G. Ils étaient réticents à adapter leurs cours aux attentes particulières des programmes, car cela aurait notamment pour effet d’alourdir et de compliquer grandement leur tâche.  En ce qui a trait à Sciences humaines, certains se plaignaient du recoupement entre les contenus disciplinaires de sciences humaines et ceux des cours de philosophie, notamment. Bref, une formation générale importante dans tous les programmes, mais qui a fini par ressembler quelque peu à une école dans une école... 
Un programme qui présente un problème de sens pour les étudiantes et étudiants
Lorsque l’on se place du point de vue d’un étudiant ou d’une étudiante en Sciences humaines et que l’on examine son horaire, on risque de voir apparaître une succession de cours avec peu de liens entre eux… Un programme qui n’a de sens que pour les plus « intellectuels» d’entre eux, les « bollés » qui s’intéressent à tout ou presque. Or, nous savons pertinemment qu’une portion significative de nos étudiants ne manifeste pas un intérêt spontané pour le travail intellectuel… C’est à nous de tenter de les gagner à la chose... En outre, en formation spécifique, tout comme en F.G., les cours présentent un fil conducteur ténu. Chacune des disciplines de sciences humaines comporte un bagage théorique important et bien distinct. Comment les amener à faire des liens entre la psychologie, l’économie, la géographie? Ajoutez à cela les cours complémentaires obligatoires, où on leur propose des choix qui ne les intéressent pas toujours, la formation en Sciences humaines est si diversifiée qu’on pourrait presque la qualifier d’éclatée…  En fait, ce sont les professeurs de français qui sont généralement les plus présents dans notre programme... et parfois les professeurs de mathématiques dans le profil administration ou encore dans les profils « avec maths » qui subsistent… Les cours de psychologie sont parfois au même nombre que les cours de français.  Par ailleurs, l’une des critiques formulées fréquemment par les étudiantes et étudiants en Sciences humaines : un programme trop général, pas assez concret. Nos étudiants s’inscrivent dans un programme et non pas dans un département en particulier, comme à l’université. Heureusement, dans les profils, on arrive parfois à augmenter quelque peu la cohérence du programme… Tous ces cours en provenance de disciplines et de départements différents sont assurément une excellente chose pour obtenir une vision large de plusieurs champs disciplinaires et aussi pour la culture générale de ceux qui en bénéficient… Or, cette façon d’organiser le programme en fait-elle un parcours cohérent, efficace et stimulant? 
Une source de conflits d’identité et de tensions
La conception disciplinaire de l’enseignement collégial a fait en sorte que les professeurs s’identifient d’abord à leur département d’enseignement et surtout, à leur discipline de formation. Cette situation, assez compréhensible, a pour conséquence de laisser le programme des Sciences humaines orphelin… surtout dans les gros cégeps… On a un boulot grâce à lui, mais on ne développe pas un sentiment d’appartenance très fort envers lui… sans compter diverses tensions susceptibles de se produire entre départements pour l’obtention des cours transdisciplinaires, par exemple.
Un programme au leadership diffus
Dans les programmes techniques, les professeurs sont largement responsables de veiller à la qualité de la formation et au suivi du programme. Au préuniversitaire, dans les cégeps où l’on retrouve plusieurs départements, quelle instance est chargée de veiller à la santé et au développement du programme? Est-ce uniquement une responsabilité de la direction alors que, dans les programmes techniques, cette responsabilité est largement assumée pas les enseignants eux-mêmes? Qui prend la direction de la pédagogie, de veiller à rendre les programmes cohérents, pertinents, intéressants, attrayants pour les étudiantes et étudiants? Dans le modèle départemental conçu à l’origine, ces responsabilités professionnelles risquaient fort de tomber dans quelques interstices...
Les remèdes apportés au fil des ans…
Pour tenter de rendre plus cohérente la formation collégiale, au fil des ans, diverses idées ont été avancées ou mises à l’essai : des cours de français, d’anglais et de philosophie propres au programme, l’approche programme, les comités de programme… Ces idées n’ont pas fait un consensus spontané et n’ont pas été forcément bien accueillies. Lorsque l’on a proposé l’idée d’une approche programme, le modus vivendi construit autour des départements s’en trouvait ébranlé. La compréhension que l’on avait des cégeps et des programmes également. On craignait notamment de voir la F.G. subordonnée aux impératifs des programmes et qu’elle soit obligée d’adapter ses cours à chacun des programmes. Les départements perdaient une partie de leur pouvoir au profit des programmes.
Les comités de programme ont été institués pour tenter de concrétiser l’approche programme. Cette idée rencontre encore aujourd’hui de la résistance et les départements demeurent la pierre angulaire des programmes, surtout dans les gros cégeps. Au plan syndical, la résistance s’est organisée autour de demandes de ressources additionnelles pour actualiser les mandats confiés à ces comités. Cela fait environ 10 ans que les comités de programme existent et un nombre significatif de professeurs n’en voient toujours pas très bien l’utilité, les perçoivent comme des réunions ennuyeuses ou les ignorent tout simplement… Il est probable que les ressources peu importantes qu’on y a consenties expliquent partiellement cet état de fait.  Force est de constater que, au quotidien, l’approche programme est demeurée une vue de l’esprit, particulièrement dans les gros cégeps. L’intégration de la formation générale au programme reste difficile et les échanges entre les départements demeurent occasionnels, peu structurés ou inexistants en dehors des comités de programme. Il est notamment complexe d’intégrer l’approche programme au quotidien. Le risque pour Sciences humaines, c’est de demeurer un programme avec un leadership faible où les véritables problèmes rencontrés par le personnel enseignant ou par les étudiantes et étudiants restent traités à la pièce, sans vison d’ensemble… La main gauche ignore ce que fait la droite et chacun réinvente le bouton à quatre trous… Les comités de programme demeurent mal compris, l’approche programme mal intégrée, alors qu’ils sont essentiels pour permettre une concertation significative. Quelques cégeps dynamiques, petits ou articulés en de solides profils, semblent réussir à contourner cette difficulté structurelle. Par exemple, dans mon cégep, une équipe de pédagogie concertée a fait en sorte que des professeurs de plusieurs disciplines travaillaient ensemble pour superviser les apprentissages de leurs étudiantes et étudiants à une même session. Cette expérience, tenue à bout de bras par quelques professeurs, a malheureusement fini par s’étioler. Un autre cégep a expérimenté une forme d’organisation où les professeurs de la formation générale et ceux de la formation spécifique partagent les mêmes bureaux… Ces initiatives restent souvent méconnues ou instables et auraient avantage à être mieux soutenues ou diffusées.
Le programme des Sciences humaines a besoin, tant au niveau local qu’au niveau provincial, de revoir ses pratiques et de réfléchir aux nombreux défis qui s’annoncent : la diminution des inscriptions, les besoins de nos étudiantes et étudiants, les conditions d’exercice de la profession, la qualité de la formation, la cohérence de nos interventions, le rayonnement du programme… Un programme cohérent et motivant contribuera à maintenir son attrait et à améliorer son image… Des jeunes qui choisissent les sciences humaines par goût et parce qu’ils sont convaincus d’y obtenir une formation de grande qualité, voilà certes l’une des clés pour réfléchir à la situation. Une approche programme intégrée dans la pratique quotidienne des cégeps, doublée d’une concertation en réseau, pour nous enrichir mutuellement et pour veiller à la santé du programme et des cégeps pourraient constituer des pistes de travail pour la suite de l’histoire…

Claire Denis
Cégep de Sherbrooke


1 commentaire:

  1. Richard Lapointe-Goupil12 février 2012 à 10:28

    C'est une excellente synthèse de la situation. Cependant, j'ai parfois l'impression de lire un article de la revue Pédagogie collégiale rédigé en 1994. Pour en avoir récemment lu un certain nombre datant de cette époque, je peux affirmer que les constats et les problèmes sont sensiblement les mêmes qu'au moment de la réforme de 1993-1994. Force est d'admettre que nos tentatives de solutionner le problème ont été inopérantes ou d'une portée limitée. Mais comment concerter, au-delà des solutions ponctuelles et des initiatives individuelles, l'ensemble des enseignantes et des enseignants de sciences humaines entre eux qui, comme au Cégep Limoilou, sont 50+ et ce, sans parler de ceux en formation générale ?

    Richard Lapointe-Goupil (Enseignant sans emploi en psychologie et étudiant à la maîtrise en psychopédagogie)

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