jeudi 30 mars 2017

Sciences humaines dans les cégeps: un programme pilier est en révision

À titre de professeurs, mais également d’auteurs et d’acteurs impliqués dans le développement et la défense des sciences humaines au collégial, Maurice Angers et Claire Denis nous partagent leurs réflexions sur la révision de programme en cours. Vos commentaires sont les bienvenus. À noter qu’une version abrégée de ce texte est parue dans Le Devoir, le 30 mars.


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Le Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec a entrepris une révision du programme collégial Sciences humaines. Une actualisation est somme toute normale puisque ce programme a été implanté en 1991 et reformulé en compétences au tournant du XXIe siècle. Une première étape de cet examen a été franchie puisqu’une consultation des responsables des programmes universitaires de domaines associés aux sciences humaines a été réalisée. Elle a été menée grâce à une enquête par questionnaires et a donné lieu à un rapport déposé en octobre 2016 par le consultant Jacques Belleau intitulé : Le profil attendu par les universités de la part des diplômés du programme d’études préuniversitaires Science humaines. Un groupe de travail formé par le ministère se penche en ce moment sur ce rapport pour revoir l’orientation à donner au programme.
Le programme Sciences humaines constitue le programme le plus populeux du réseau collégial. Il représente près de la moitié des étudiantes et étudiants inscrits au préuniversitaire et environ 30 % de tous les cégépiens. Il se caractérise par de nombreux intervenants en provenance de disciplines très variées (une dizaine officiellement admise par le ministère). Les nombreux intervenants qui, de près ou de loin, vont jouer de leur influence dans ce dossier nous portent à rendre public notre propre constat. Nous sommes deux enseignants, l’un à la retraite, l’autre s’en approchant, qui se sont, au fil des trente dernières années, impliqués dans l’élaboration, l’implantation et le suivi du programme des sciences humaines. Nous avons occupé des postes de responsabilités au plan local comme au plan provincial pour mener avec succès la réforme majeure qui s’est effectuée en 1991 et dont il ne faudrait pas perdre les acquis.

Un peu d’histoire : le programme Sciences humaines version 1991
En 1989, un mini-colloque avait réuni, au Cégep Édouard-Montpetit, les Coordonnateurs provinciaux des disciplines des sciences humaines et leurs exécutifs respectifs (des professeurs du collégial représentant une dizaine de disciplines) et des représentants des départements des sciences humaines des universités québécoises. Les propos tenus par les universitaires à ce colloque ressemblaient étrangement aux conclusions des attentes actuelles des universités, si l’on se fie au rapport Belleau commandé par le ministère (Belleau, 2016). Les universitaires ne voulaient surtout pas que la formation collégiale en sciences humaines ressemble à une mini-spécialisation dans l’une ou l’autre de leur propre discipline universitaire, les départements universitaires de psychologie et de sciences de l’administration ayant été les plus fermes à ce propos. Ils voulaient au contraire que cette formation ressemble à une sorte de culture générale, à la fois disciplinaire et transdisciplinaire, axée sur l’« apprendre à apprendre ».
Le rapport actuel présente une position similaire : « Il s’agit d’acquérir les savoirs, les savoir-faire et les savoir-être permettant d’explorer et de comprendre les différentes facettes de l’homme et des sociétés humaines et, surtout, d’être en mesure de les utiliser concrètement » (Belleau, 2016, p. 16). En outre, la priorité de ce rapport va au-delà des sciences humaines puisque les universitaires souhaitent d’abord et avant tout, comme condition sine qua non à une bonne préparation à l’université, que les collégiennes et collégiens maîtrisent mieux la langue d’enseignement, en l’occurrence le français pour les cégeps francophones. Il faut préciser que, alors qu’ils étaient absents du colloque de 1989, les professeurs des départements des Sciences de l’éducation ont été les plus nombreux à participer à la récente enquête. C’est à la fois positif et symptomatique d’un problème systémique, le manque de maîtrise de leur langue d’enseignement et les effets négatifs sur le reste de leur apprentissage, déjà connu et qui ne peut se résoudre simplement en réformant le programme Sciences humaines.

Un programme bonifié, apprécié
Rappelons que le programme collégial Sciences humaines implanté en septembre 1991 a répondu en bonne partie aux attentes exprimées par les universités, qui alors comme aujourd’hui demandaient une formation à caractère plus général que spécifique. Avant cette réforme, le programme Sciences humaines était éclaté comme l’avait souligné le Livre blanc sur l’enseignement collégial en 1978. Il avait une très mauvaise réputation, qualifié tantôt de programme fourre-tout, de programme-cafétéria ou de programme de derniers recours. Il faut dire que les éléments du programme étaient laissés au bon vouloir de chaque administration locale, les préalables universitaires étant presque tous disparus au fil des ans. En 1991, la réforme du programme a constitué une petite révolution. Les faits saillants furent : un tronc commun de cours obligatoires à travers la province, un resserrement des choix de cours pouvant être dispensés, une formation contenant des cours transdisciplinaires (méthodes quantitatives, méthodologie de la recherche et activité d’intégration des connaissances acquises), une initiation obligatoire à l’histoire, à l’économie et à la psychologie et des profils de cours orientés vers l’individu, la société ou le monde, mais aussi vers l’administration pour répondre à une demande plus spécifique.
Cette refonte que l’on peut qualifier de majeure était le fruit de plusieurs années de concertation et de négociation entre les coordonnateurs provinciaux des disciplines de sciences humaines et le ministère. Ce travail en commun entre des disciplines, souvent concurrentes puisque s’adressant à une même population étudiante, a porté fruit. En se concertant, toutes les disciplines des sciences humaines y ont gagné par l’ajout de ressources axées sur l’enseignement des méthodes de recherche propres aux sciences humaines.
À un colloque d’universitaires en sciences de l’éducation, quelques années à peine après la réforme, ces derniers ont mentionné être désormais capables de distinguer les étudiants qui provenaient du programme Sciences humaines des autres programmes du collégial, les premiers étant mieux formés au regard de leur propre programme. Cette réforme des années 1990 a aussi été un succès, si on en juge par les propos actuels des universitaires puisque le rapport mentionne à cet effet : « un certain niveau de pertinence de la formation actuelle » (Belleau, 2016, p. 60). Le profil attendu des universités, comme présenté dans le rapport Belleau, semble confirmer que le virage entrepris vers une formation moins éclatée, composé notamment d’un tronc commun et de cours disciplinaires et transdisciplinaires, était le bon.

Le programme Sciences humaines version 2001
Le programme de 1991, à peine mis en marche, a été révisé et finalisé en 2001 par le ministère. Cette révision a consisté essentiellement en une « traduction » du programme en compétences. Cependant, au cours de cet exercice, les acquis de 1991 n’ont pas été remis en question. On a maintenu les cours de méthodologie ajoutés en 1991 et on a confirmé la place des disciplines psychologie, histoire et économie dans ce tronc commun. Le principal apport de la refonte de 2001 a été, en plus du maintien du tronc commun, d’insérer une séquence de cours à l’intérieur du programme ayant pour effet de recommander la mise en place d’un cours d’initiation disciplinaire avant de permettre l’accès à un cours plus avancé. La séquence initiation, application, approfondissement et enrichissement du devis ministériel de 2001, même si elle fut sujette à interprétation, elle semble avoir été respectée par une majorité de cégeps dans la fabrication de leurs grilles de cours (confirmé par une enquête interne menée par le Réseau des sciences humaines des collèges du Québec (RSHCQ). Elle contribue également à resserrer la qualité du programme et à éviter de tomber dans le piège du clientélisme et de la concurrence entre programmes et entre cégeps.  
La principale critique exprimée envers le programme actuel vise les libellés de compétence. Rédigés à une époque où cette approche n’était pas maîtrisée, plusieurs de ces libellés demandent à être clarifiés et rehaussés dans certains cas. Sur le plan des acquis, le renforcement de la dimension scientifique du programme fait largement consensus et on souhaiterait généralement qu’elle soit maintenue, voire bonifiée.

Bonifier le programme et en préserver les acquis
En éducation, l’une des habitudes connues lorsque vient le temps d’effectuer des changements consiste à faire table rase de ce qui existe, ou du moins de proposer un remède miracle issu d’une nouvelle théorie pédagogique… Le programme actuel a certes besoin d’une cure de rajeunissement, mais il demande surtout à être bonifié. D’ailleurs, dans le cadre de l’enquête interne menée par le RSHCQ, une majorité des répondants (une cinquantaine de cégeps y ont participé) souhaitent une réforme mineure. Même si la signification de réforme majeure et de réforme mineure n’est pas clairement définie, l’opinion exprimée confirme une satisfaction significative envers le programme actuel. Plusieurs des problèmes soulevés relèvent davantage de l’organisation locale des programmes. Le ministère a le devoir de veiller à mettre en place les conditions favorisant un programme de qualité dans l’ensemble du réseau collégial en poursuivant les efforts entrepris dans les années 90 pour bonifier ce programme encore quelque peu mal-aimé et sous-estimé dans l’esprit du public. Les professeurs de toutes les disciplines de Sciences humaines doivent unir leurs voix pour réclamer plus d’espace dans le processus de consultation actuel et s’outiller pour mener à bien cette importante opération. La concertation de 1991 a permis une augmentation des ressources affectées à la méthodologie. En 2001, une augmentation des heures d’enseignement a aussi été autorisée pour mettre à niveau ce programme et le standardiser… Que demander cette fois-ci ?

Distinguer enjeux locaux et nationaux
Comme mentionné, plusieurs des récriminations soulevées et des tensions existantes dans les programmes prennent racine dans la manière d’organiser le programme dans chaque collège. Derrière ces tensions, on retrouve des enjeux d’emploi, de tâches comme on dit dans le milieu, et ces enjeux ne doivent pas nuire à la bonification du programme. Le ministère a délégué aux cégeps une large part de ses responsabilités. Cependant, pour un programme aussi important, une direction nationale est probablement nécessaire pour une meilleure continuité de la formation entre les cégeps et les universités. En outre, le programme est défini nationalement et les problèmes occasionnés par son opérationnalisation sont laissés aux directions locales. Or, au premier chef, le ministère conserve la responsabilité de veiller à la qualité de ce programme, en y accordant des ressources suffisantes, mais aussi en veillant à lui insuffler une direction positive. En période de révision, il a aussi le devoir de consulter le milieu adéquatement et de bien évaluer les conséquences de ses choix pour tout le réseau collégial.
Les professeurs, pour leur part, ont la responsabilité de s’élever au-dessus de leurs intérêts disciplinaires et d’unir leurs efforts pour l’intérêt supérieur du programme et de sa population étudiante. Les autres parties interpellées par la révision de cet important programme, les directions des collèges notamment, doivent aussi suivre cette révision avec sérieux et cesser de traiter ce programme comme un parmi d’autres… Le programme Sciences humaines ne se compare à aucun autre. Le seul programme qui lui ressemble un peu est Sciences de la nature… et les différences restent notables. On a qu’à penser aux nombreux préalables universitaires caractérisant cet autre pilier des cégeps.
Il existe des solutions pour relancer et bonifier le programme Sciences humaines. Il faut faire l’effort de les identifier au-delà de la stricte réécriture du programme et de proposer aux cégeps locaux des idées pour mieux organiser les ressources et réduire les tensions. Par exemple, pour favoriser une culture générale et éviter la surspécialisation, une règle pourrait édicter qu’il n’y ait pas plus de deux ou trois cours par discipline dans ce programme au plan local. On pourrait aussi augmenter le nombre de disciplines obligatoires pour renforcer le tronc commun. Une autre hypothèse à explorer pour consolider le programme et poursuivre son renforcement serait d’ajouter plus de cours transdisciplinaires (multis) à caractère scientifique et méthodologique pour renforcer l’aspect scientifique du programme. On connaît aussi l’importance grandissante de la culture numérique dans toute formation d’avenir. On pourrait également renforcer la maîtrise de la langue en mettant l’accent sur la rédaction d’essais ou de rapports scientifiques. Les étudiantes et étudiants qui fréquentent le programme Sciences humaines écrivent beaucoup ! L’écriture scientifique constitue un genre de texte à valoriser et à intégrer explicitement dans le parcours de ce programme. On peut réfléchir aussi à augmenter le nombre de cours de 4 heures semaine, au lieu de trois, pour permettre un meilleur suivi des étudiantes et étudiants et favoriser une moins grande dispersion. D’autres solutions sont à imaginer et à tester, tout cela en n’oubliant pas de permettre aux étudiantes et étudiants d’exprimer leurs préférences et de choisir des cours et des profils signifiants et intéressants.
La discussion est ouverte. En espérant que ce saut dans le temps stimulera des débats fertiles !



Maurice Angers, ex-professeur au Collège de Maisonneuve et ex-coordonnateur provincial de Sociologie (1982-1992), ex-membre du Comité expert de rédaction du présent programme Sciences humaines au collégial (1999-2001).
Claire Denis, ex-responsable du Comité des enseignantes et enseignants du programme préuniversitaire Sciences humaines (2006-2013), ex-présidente du Réseau des sciences humaines des collèges du Québec (RSHCQ) (2011-2016) et professeure au Cégep de Sherbrooke.

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