lundi 28 mai 2012

Une analyse du conflit étudiant; droite contre gauche

Il y a actuellement sur la planète un éveil des consciences citoyennes qui se manifeste par des contestations des pouvoirs institutionnels. Pour en nommer quelques-uns : le printemps arabe (Tunisie, Égypte, …), le mouvement « Occupy »  avec leur fameux slogan 1% contre les 99% tenu dans plusieurs villes en Occident, les grèves étudiants (Chili, Angleterre…), les protestations importantes en Espagne, en Grèce (évidemment), les émeutes au Royaume-Uni (dont celle de Tottenham), etc…
Dans la plupart de ces conflits, on remarque une certaine lutte idéologique. En effet, il faut bien admettre qu’actuellement, le néo-libéralisme est contesté avec vigueur.  Les manifestants sont-ils capables d’articuler un discours cohérent contre le néo-libéralisme ? Ont-ils des solutions claires et définis à proposer comme alternative à cette idéologie qui dominent depuis une trentaine d’années? Pour la plupart d’entre eux, non.

Le mouvement étudiant au Québec s’inscrit dans ce contexte élargi. Dès le départ, bien que strictement centré sur la hausse des droits de scolarité, la contestation couvrait aussi une position idéologique anti-néo-libéralisme. Dès le départ, les deux camps se sont positionnés :  à gauche pour les étudiants, à droite pour le gouvernement Charest - pour reprendre la division classique des idéologies. Rapidement, ils se sont radicalisés en campant sur leur position. Malheureusement, avec  les jours qui passent, la sortie de crise devient de plus en plus difficile.
À gauche, les étudiants au carré rouge ont sorti des arguments solides. Jetons-y un coup d’œil. Ils veulent un gel des droits de scolarité (même la gratuité scolaire pour le Classe) parce que :
 

Représentants étudiants
1)      L’éducation supérieure est un «bien commun». Elle doit demeurer accessible à tous.
2)      Puisqu’il s’agit d’un bien commun, l’éducation est un droit humain fondamental.
3)      A contrario, l’éducation n’est pas une marchandise à vendre sur un marché de consommateurs.
4)      Les universités sont mal gérées car les ressources financières sont  mal réparties.


À droite, le gouvernement Charest a aussi développé un argumentaire bien ficelé :
Un gouvernement néo-libéral
1) Selon un «consensus social», les universités sont sous-financées depuis plusieurs années.
2) Or, les étudiants payent les droits de scolarité les moins élevés au Canada.
3) Donc, les étudiants doivent faire leur «juste part» et contribuer davantage au financement universitaire.
4) Nos universités doivent être de classe mondiale et compétitionner avec les meilleures.
Les deux camps ont vertement critiqué l’argumentaire adverse. À gauche, on a remis en question le consensus social sur le sous-financement. Il n’y aurait pas tant que ça de sous-financement mais de mal financement des services universitaires. Bien qu’étant les moins élevés au Canada, les droits de scolarité au Québec demeurent parmi les plus élevés au monde. La «juste part» est-elle faite par les corporations minières, les 1%? Les universités n’ont pas à compétitionner ? Elles offrent un service public à sa population. Elles doivent uniquement se concentrer à offrir le meilleur service possible aux étudiants.
À droite, on a aussi fait sa cavale. Elle a porté essentiellement sur l’accessibilité aux études sup. Je dirais que le gouvernement, avec son offre du 27 avril[1], a fait un effort pour se rapprocher de la position idéologique des étudiants au carré rouge – notamment en ce qui a trait à l’accessibilité aux études sup. Perso., j’ai bien cru que ça passerait! Mais non. Après 22 heures de négociation, l’offre du 5 mai[2] a été signée par toutes les parties.  Dans cette offre, la création d’un Conseil provisoire des universités répondait à l’argumentaire des étudiants qui critiquaient la gestion universitaire. L’offre a été rejetée.
Le choc idéologique entre la gauche et la droite a franchi une étape de plus avec l’adoption de la Loi 78 le 18 mai 2012[3]. Avec cette loi, l’État venait encadrer (un petit peu mais pas tant que cela !) la liberté de manifestation des citoyens québécois. Avec cette loi, l’État a choisi la voie autoritaire. La voie de la négociation devient difficile et la contestation ira en croissant !
Lorsqu’on pense en termes néo-libéraux, la position de l’État se défend ! L’individu a des droits et il faut les préserver. D’ailleurs, la loi 78  se nomme : Loi permettant aux étudiants de recevoir l’enseignement dispensé par les établissements de niveau postsecondaire qu'ils fréquentent. Intéressant ! Bien qu’il y ait grève étudiante, les étudiants qui veulent assister à leurs cours y ont droit. Les droits individuels ont préséance sur les droits collectifs. D’ailleurs, avant l’adoption de la Loi 78, une pluie d’injonctions s’était abattue sur le Québec pour faire prévaloir les droits individuels. D’ailleurs, depuis le début du conflit étudiant, le gouvernement n’emploie pas le terme de «grève» mais bien le «boycott» pour nommer le conflit, contestant par le fait même la légitimité des associations étudiantes et leurs fédérations. Le choix des termes n’est pas innocent ! Et dans une perspective néo-libérale, ça se tient.
L’État avait bien essayé de briser le mouvement collectif avant de voter la Loi 78 :
·         En ignorant systématiquement la demande des étudiants de geler les droits de scolarité. On peut parler de tout sauf de la question de fond !
·         En tentant d’isoler la Classe, fédération étudiante jugée trop à gauche. Diviser pour régner, tactique bien illustrée dans le Prince de Machiavel.
·         En refusant de négocier avec  les associations étudiantes qui ne dénoncent pas la violence, une question de principe. En tentant ainsi d’associer les étudiants aux casseurs, l’État laisse d’abord pourrir le conflit. gagne du temps et espère que le mouvement étudiant sera «délégitimé».
·         En laissant entendre que les jeunes sont gâtés avec leur IPhone et que payer  50 cents par jour, c’est tout simplement facile à gober ! En «infantilisant» ici les étudiants, on cherche à leur enlever toute crédibilité. D’ailleurs, les étudiants ont aussi joué le jeu en traitant de «mononcle» le gouvernement Charest.
Depuis l’adoption de la Loi 78, la suspension des cours a par le fait même suspendu la grève! Le conflit sur les droits de scolarité est parti ailleurs.  Il est devenu social si bien que la critique des gouvernements est devenue encore plus acerbe. Schématiquement, on assiste actuellement à un conflit classique droite-gauche. Dans les discours, dans la foule des manifestants, on dénonce les positions et les actions gouvernementales motivées par le néo-libéralisme. On dénonce carrément les actions de Charest et de Harper : l'achat des F-35, la hausse du seuil de la retraite à 67 ans, les mises à pied au fédéral, la modification du programme de l’Assurance-emploi, le conflit chez Air Canada et la menace d’une loi spéciale, la fermeture chez Aveos, la taxe santé, le plan nord, les gaz de schiste, la corruption dans la construction, le financement mafieux des partis politiques, l’impression que l’État «couche» toujours avec les 1%.

Les principes de «l’utilisateur-payeur» et du «privé meilleur que le public» ne passent plus auprès des manifestants. Et Jean Charest est devenu le symbole de cette approche. S’il entendait ce que les manifestants disent de lui!!!  
En ce moment, à la veille de la reprise des négociations, le climat est orageux! Le mouvement est en train de faire boule de neige. Le gouvernement Charest est-il en train d’échapper le ballon? A-t-il toujours les deux mains sur le volant? Les positions et les actions de la droite ont-ils toujours la cote?

Michel Huot, sociologie, CBA


[1] « L'offre du gouvernement du Québec aux étudiants » In Le Huffington Post Québec, En ligne. http://quebec.huffingtonpost.ca/2012/04/27/offre-charest-etudiants_n_1459134.htm. Page consulté le 28 mai 2012.
[2] « Entente concernant le Conseil provisoire des universités ». En ligne.  http://www.droitsdescolarite.com/data/docs/Entente_Etudiante_2012-05-05.pdf, Page consulté le 5 mai 2012.
[3] Assemblée Nationale, «  Projet de loi n°78 : Loi permettant aux étudiants de recevoir l’enseignement dispensé par les établissements de niveau postsecondaire qu'ils fréquentent».  En ligne.  http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-78-39-2.htm. Page consulté le 18 mai 2012.

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