jeudi 3 mai 2012

Chronique d’une grève annoncée...

Cela fait maintenant plus de deux mois que les étudiants ont débrayé dans mon cégep. Je m’y étais pourtant préparée, jusque dans mon plan de cours... Jamais je n’aurais imaginé ce que j’y ai observé... Je savais bien que cela ne serait pas facile, mais si on m’avait dit que j’assisterais à pareil mépris... je ne l’aurais pas cru.  Au début du mouvement de grève, j’étais assez optimiste, je pensais qu’une forme de compromis serait négociée tôt ou tard...  certainement pas si tard!  Étant de nature (et de culture) plus à gauche, je suis assez d’accord avec des frais de scolarité plutôt bas, bien que je reste indécise quant à l’idée de gratuité totale. Je voyais le mouvement de grève plutôt d’un bon œil.

Comme tous ceux qui ont déjà participé à des actions collectives, j’ai été (et je le suis toujours) impressionnée par la solidarité, la force et la constance du présent mouvement étudiant. Je trouve ces jeunes leaders brillants et articulés. Or force est de constater que ce mouvement ne mène nulle part. La réflexion fondamentale autour de l’éducation et de sa place dans la société québécoise n’aura pas lieu. Le message qui veut que nous ayons les moyens, sans rehausser les impôts des contribuables, de maintenir des frais de scolarité relativement bas (relatif puisque l’on est en Amérique...) ne passe pas.  Le peuple a acheté le discours officiel qui résume le tout par les slogans : « À qui va-t-on refiler la facture ? et « Payer sa juste part »...  Ce n’est pas un hasard si les facultés universitaires en grève sont surtout celles où des revenus « élevés » sont loin d’être garantis, suite à l’obtention d’un premier diplôme... Si l’on parle d’investissement personnel,  les résultats sont très variables... Les questions ayant trait à la mauvaise gestion des universités, à l’incurie, à la très discutable manière de distribuer les fonds de recherche, aux salaires honteusement élevés (avec des fonds publics, comme ces recteurs qui gagnent plus, voire parfois le double du premier ministre du Québec!) et surtout, les liens importants entre l’éducation et la démocratie... toutes ces questions fort pertinentes n’ont pas réussi à passer la rampe.

Je suis l’actualité assidûment : radio, télé, journaux, blogues.  Rapidement, j’ai observé un glissement pour éviter les enjeux de fond : un discours du type «Brault et Martineau », payez seulement 325$ de plus par année, un dollar par jour...  en omettant soigneusement de mentionner la facture totale finale... Le slogan est repris ad nauseam.  Il est maintenant de 50 cents par jour...  Mais qu’est-ce qu’ils sont «cheap» ces étudiants!  Tout pour discréditer le mouvement ou ses leaders, comme les attaques personnelles contre un jeune homme «menaçant» de 21 ans qui ont été proférés par des ministres!  La prétendue violence de la CLASSÉ -- mouvement trop démocratique pour des politiciens habitués d’en faire à leur tête quand ils sont majoritaires--  a encore fait dévier le débat.  Des propos de plus en plus méprisants sont tenus dans la population au sujet “d’eux autres” les délinquants, les garnements, les bébés gâtés, les enfants roi... Un peu plus et on croirait entendre Sarkozy et sa racaille! Autre glissement sémantique, on ne parle plus de grève, mais de boycott... pour discréditer le droit de grève reconnu aux étudiants depuis des décennies. Que dire également de ces incroyables injonctions où le droit individuel a automatiquement le dessus sur les droits collectifs? Je ne suis pas juriste,  mais il me semble que les lois que nous édictons proviennent de décisions collectives... majoritaires, rarement unanimes...

Les messages du mouvement étudiant ne passent pas.  Le gouvernement demeure intransigeant et le bon peuple aliéné aime cela. Même les appels de Claude Castonguay et de Jean Cournoyer, politiciens chevronnés de grand calibre... niveau de la ligue nationale de hockey je dirais, ne réussissent pas à convaincre les politiciens actuels, calibre ligue de garage... de négocier ou de décréter un moratoire, de se bouger les fesses pour résoudre cette crise...   Rien n’y fait!  Au moment où j’ai entendu à la radio que Line Beauchamp avait rompu les négociations avec les étudiants, seule chez moi,  j’ai hurlé!!!  J’étais en colère. Quel manque de jugement!

Je n’ose pas imaginer ce que les jeunes ressentent actuellement. Vont-ils devoir retourner en classe, la tête basse, la queue entre les pattes, humiliés?  Combien d’entre eux se seront radicalisés et n’auront plus confiance en nos institutions? Que retiendront-ils de cet événement historique, après s’être engagés à fond personnellement pour soutenir un idéal? Que la démocratie ne fonctionne pas? Que les médias ne sont pas crédibles? Que des policiers sont violents et manquent de jugement? Que l’éducation n’est pas assez valorisée au Québec pour en faire une priorité?  Du côté des aspects plus « positifs », ils auront appris la solidarité, l’organisation de manifestations, l’action politique... et la désobéissance civile!  Ils auront peut-être aussi compris que notre monde n’est pas Disneyland et que l’on doit absolument se relever les manches pour le transformer et voir son à amélioration...  

Reste que, étant donné l’état d’émotivité dans lequel nous retrouverons nos étudiantes et étudiants et peu importe le point de vue que l’on a sur la question de la hausse des droits de scolarité, c’est nous, les profs, qui ramasserons au quotidien les pots cassés et le foutoir provoqué par ce gouvernement incompétent et corrompu!  

Claire Denis, Cégep de Sherbrooke

 






7 commentaires:

  1. Bonjour,

    je pense que vous avez bien fait de publier ces textes. C'est en effet un débat social important qui a des impacts sur notre enseignement. Soyons clair, il existe plusieurs positions quant à cette grève, mais notre objectif comme enseignant est de suciter la réflexion, et des textes comme ceux-là sont nécessaires en ce sens.

    Merci pour votre travail.

    Alexandre Jobin-Lawler, Enseignant
    Département de sciences humaines
    Tél. : 418 872-8242, poste 264
    Sans frais : 1 800 463-8041
    Téléc. : 418 872-3448
    Courriel : jobinla@cndf.qc.ca
    WWW : www.cndf.qc.ca

    RépondreSupprimer
  2. Comme on dit chez-nous et ailleurs:" Ne pas prendre partie, c'est prendre partie."
    Clermont Olivier, Cégep Sherbrooke.

    RépondreSupprimer
  3. Désolé mais personnellement j'ai un peu de la difficulté avec le fait que plusieurs profs prennent parti dans ce conflit, particulièrement depuis qu'il a dévié de son sujet de départ qu'est l'accessibilité aux études supérieures en étant détourné par plusieurs groupes de pression.

    Notre rôle est de rester neutre et de leur présenter les deux côté de la médaille car oui il y a de bons arguments tant contre que pour la hausse! En tant que professeur de sciences-humaine c'est autant plus essentiel de ne pas être étiquetés par nos idéologies personnelles.

    J'ai aussi beaucoup de difficulté avec certains de nos syndicats qui organisent des évènements pour contrer la hausse dans les cégep qui ont voté contre ce boycott. Pour moi c'est d'aller à l'encontre de la décision démocratique (si les votes ont été secrets bien entendu) de ces étudiants. Je n'ai rien contre les profs qui s'impliquent, bien au contraire, mais qu'ils le fassent en tant qu'individus et non qu'en tant que professeurs d'un cégep donné.

    En bout de ligne ce sont les étudiants eux-mêmes qui vont subir les répercussions de la grève et non les profs; raison de plus pour rester neutres tout en leur donnant les outils pour ce forger leur propre opinion. C'est difficile de taire ses convictions mais c'est notre devoir... ou du moins c'est ma perception de notre devoir.


    Martin Matteau
    Collège Shawinigan

    RépondreSupprimer
  4. M. Huot,

    Je suis surpris et déçu que vous ayez publié un texte (celui de madame Claire Denis) d'un niveau si faible, fondé sur les émotions et dénué de rationalité.

    Marc Simard
    F-X-Garneau

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. M. Simard,

      d'abord merci d'avoir pris la peine de nous répondre. Salutations aux enseignants de FX!

      M. Simard, vous vous insurgez contre la publication de ce billet soi-disant «dénué de rationalité». Bien entendu, vous avez droit de poser tout jugement sur les textes que nous publions. D'ailleurs, pour susciter le débat, nous vous invitons à nous faire parvenir un texte qui reflète votre pensée sur le sujet. Nous nous empresserons de le publier - avec joie!| Car, notre objectif, ici, c'est d'encourager la réflexion, de susciter le débat!

      Bien à vous,

      Michel Huot, secrétaire du RSHCQ

      Supprimer
  5. Bonjour,

    Bien que vous mettiez des gants blancs pour tenter de nous convaincre de l'objectivité de votre décision quant à la publication du dit billet, la lecture que vous faites des événements est une prise de position en elle-même.

    Très tôt, à la naissance du site Internet, j'ai mentionné à Claire Denis que, bien que j'appuyais fortement la création du RSHCQ, je débarquerais si celui-ci devenait une plateforme additionnelle pour la promotion des idées d'une certaine gauche.

    Voilà, vous avez réussi: je débarque et je sais que je ne serai pas la seule.

    Espérons que votre billet ne se traduira pas par la Chronique annoncée de la mort d'une association à peine née.

    Bien à vous,

    Hélène Dauphinais

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Madame Dauphinais,

      merci d'avoir pris la peine de nous répondre.

      Mme Dauphinais vous avez droit de poser tout jugement sur l'orientation idéologique du Réseau. Cependant, soyez assuré que nous avons réfléchi longuement avant de publier ce billet car nous savions que cela susciterait un certain mécontentement. Nous l'avons fait pour que des personnes comme vous, notamment, réagissent!

      Madame Dauphinais, envoyez-nous un texte d'un «certain centre» ou d'une «certaine droite» qui porte sur le sujet. Nous nous empresserons de le publier!

      J'aime à croire que le RSHCQ sera un lieu de débats et de réflexions! Si vous décidez de renoncer au lieu de débattre et que vous annoncez notre mort, vous faites une erreur. Participez, tentez de convaincre les lecteurs de votre point de vue! Car, notre objectif, ici, c'est d'encourager la réflexion, de susciter le débat!Peu importe le point de vue! Les sciences sociales ne sont pas neutres! Et j'aime bien avoir l'éventail des points de vue! À vous de nous rapporter le vôtre!

      Bien à vous,

      Michel Huot, secrétaire du RSHCQ

      Supprimer