Rythmé par les échanges vifs d’élèves regroupés pour procéder à un exercice, ce jour-là, le cours allait bon train. Soudain, du fond de la classe, un étudiant s’exaspère et tonne :
— Honnêtement, monsieur, je ne comprends plus rien! La revue de presse que nous avons faite ne cesse de répéter que nous n’avons pas le choix, qu’il faut renoncer à toute idéologie et être pragmatique; que l’État n’a plus d’argent et qu’il faut créer de la richesse, être plus compétitif et plus productif; qu’au nom de la classe moyenne, il faut sortir du statu quo dans lequel nous enferment les syndicats; que nous sommes les plus taxés en Amérique du Nord, mais qu’il faut faire notre part en payant les services que nous utilisons…
— En effet, lui répondis-je. Qu’est-ce que tu ne comprends pas?
— Il doit bien y avoir quelqu’un quelque part qui dit n’importe quoi!
— Qu’est-ce que tu veux dire?
— En économie, on a vu que nous vivons dans un système capitaliste fondé sur la propriété privée et l’appât du gain et où tout le monde est en concurrence contre tout le monde. Comme une guerre qui n’arrête jamais.
— Et…?
— Et en philo, on a vu que ce système économique s’accompagnait d’une idéologie, le libéralisme, qui est la pensée dominante du monde occidental depuis deux siècles. Puis, en politique, que le libéralisme est une idéologie pour laquelle tout ce qui compte, c’est de mettre l’État au service des intérêts privés. J’imagine que c’est pour ça qu’on a baissé les impôts, qu’on veut augmenter les frais de scolarité, limiter la syndicalisation…
— Alors?
— Alors c’est bizarre, parce qu’en histoire, on a vu que sans les luttes mener par les syndicats et d’autres mouvements populaires, il n’y aurait pas de droits sociaux et économiques comme l’accès à l’éducation, aux soins de santé et toutes ces autres choses qui permettent l’existence d’une classe moyenne.
— OK?
— Pendant ce temps-là, le prof de psycho a dit qu’il y a une forte pression à la performance partout dans la société, notamment dans les milieux de travail, que ça engendre du stress et que le stress, ce n’est pas bon pour les individus. En géo, on a vu que les problèmes écologiques provenaient de choix politiques et économiques et que là, la planète n’est plus capable. En éduc, on nous répète continuellement que la santé physique et mentale, c’est important, et je ne sais plus quel est l’auteur qu’on a lu en français qui disait que la « qualité des liens » valait mieux que la « quantité des biens »…
— Oui?
— On est obligé de vivre ça? En anthropo, on a appris que pendant des millénaires, les activités humaines n’étaient pas orientées vers la recherche constante du profit, qu’il y avait toute sorte de règles et de normes collectives pour maintenir la cohésion de la communauté et que la coopération a toujours été plus importante que la compétition.
— Tout cela est fort intéressant, jeune homme, mais pardonne-moi, je ne comprends toujours pas ce que tu ne comprends pas.
— Là, en socio, on parle d’effritement des liens, de société de consommation et d’hyperindividualisme, de croissance des inégalités sociales, des problèmes sociaux pis toutes ces affaires-là! Coudonc, est-ce que c’est moi ou bien les profs du Cégep font exprès pour enseigner le contraire de ce que l’on répète à la télé et dans les journaux?
— Qu’en penses-tu?
— Que c’est peut-être pour ça que certains veulent abolir les Cégeps!
Jean-François Fortier
Sociologie
Sherbrooke
Sherbrooke
Résumé intéressant qui met en évidence les motivations de la statique gouvernementale ainsi que l'immobilisme de Mme Beauchamp.
RépondreSupprimerBelle illusttration de la contribution des sciences humaines à l'acquisition de la pensée critique! Pourrait aussi servir de point de départ pour le cours d'Intégration (DIASH)! :-)
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