dimanche 29 janvier 2017

Éducation financière au secondaire: pour un enseignement intégré aux sciences humaines

Dans l'objectif de défendre et valoriser le rôle et l'importance des sciences humaines, le RSHCQ a fait parvenir une lettre aux journaux au sujet du retour de l'éducation financière au secondaire... au détriment du cours Monde contemporain, rare porteur d'une approche multidisciplinaire en sciences humaines.
 
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Suivant la volonté du ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, l’éducation financière sera de retour en 5e secondaire à compter de l’automne prochain. Banquiers, conseillers en finances et chroniqueurs de l’économie sont ravis: ils réclamaient un tel cours depuis des années. Syndicats et enseignants au secondaire jugent la mise en œuvre trop rapide. Il y a certes quelques critiques, mais plusieurs hésitent à questionner les contenus, objectifs et impacts d’un tel ajout à la formation des élèves. Le Réseau des sciences humaines des collèges du Québec, un regroupement de professeurs de cégep, souhaite ici faire entendre sa voix visant à valoriser les sciences humaines, quel que soit le niveau d’enseignement.
 
Alors que la place des sciences humaines au secondaire nous semble déjà insuffisante, le cours d’éducation financière sera introduit… au détriment du cours Monde contemporain, amputé de 50 heures sur 100 ! Avant la 5e secondaire, les élèves auront suivi des cours de géographie et d’histoire, mais le cours Monde contemporain représente une trop rare incursion – riche et complexe – dans l’univers des enjeux et questions d’actualité qui outrepassent nos frontières. Comprendre le monde actuel, sous l’angle de plusieurs perspectives, propres aux sciences humaines, tel est l’objectif de ce cours… mais cela se fera désormais selon un nombre d’heures réduit de moitié. C’est bien peu, trop peu.
 
En réalité, il importe d’aller au-delà de la stricte « littératie financière ». Pourquoi ne pas traiter de la bonne gestion de ses finances personnelles (épargne, crédit) et de la consommation dans le cadre même du cours Monde contemporain, suivant une approche multidisciplinaire intégrant en priorité la science économique et ses enseignements sur les fondements historiques et idéologiques du système capitaliste. Comment surpasser les problèmes de surconsommation et d’endettement sans questionnement réel sur ce qui entraîne ces problèmes ? Par exemple, l’éducation financière pourrait s’inscrire parmi les thèmes « Environnement » et « Richesse » déjà prescrits par le programme de formation pour le cours Monde contemporain. En sciences humaines, traiter des comportements du consommateur, du système bancaire ou du marché du travail est indissociable d’un minimum de connaissances sur le fonctionnement de l’économie libérale, ses mécanismes et impacts quant à l’environnement et sur la répartition des richesses, deux « objets d’interprétation » exigés par le Ministère quant au cours existant. Si l’école québécoise souhaite former des consommateurs avertis et responsables, elle se doit de le faire à partir de données et connaissances qui font appel à l’économie et également à la politique, à la sociologie, à l’histoire, voire à la psychologie, pour ne nommer que quelques perspectives.
 
Nul ne s’oppose à la vertu: il est souhaitable que les jeunes (et moins jeunes) sachent éviter l’endettement et la consommation excessive. Or il faut s'engager à former des citoyens qui demeurent critiques en regard de la pression à consommer, comme l’illustre les données de l’Observatoire de la consommation responsable, rapportées par La Presse Canadienne, en novembre dernier. Selon ce groupe de recherche montréalais, « les répondants de 18 à 24 ans seraient plus nombreux à diminuer leurs achats et à opter pour le transport durable et pour la consommation collaborative – qui consiste à prêter, louer, partager et échanger des biens entre les consommateurs[1] ».
 
Nous croyons que l’objectif d’une saine éducation financière sera mieux atteint si l’on épouse une vision plus large et globale de la vie en société : celle du citoyen éclairé, conscient de son rôle à la fois comme acteur social, politique… et économique.
 
Sébastien Despelteau,
pour le RSHCQ


[1] Vicky Fragasso-Marquis, « Les jeunes sont plus nombreux à transiger de façon responsable », Le Devoir, 24 nov. 2016. http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/485395/les-jeunes-sont-plus-nombreux-a-consommer-de-facon-responsable-selon-une-etude

lundi 16 janvier 2017

Quelle orientation privilégier en Sciences humaines ?

Dans le cadre de la révision – actuellement en cours – du programme de Sciences humaines, le RSHCQ invite les professeurs et personnes-ressources en Sciences humaines à faire part de leurs commentaires, idées ou questionnements.
Pour lancer la discussion, voici la lettre de Dominic Roy, du Cégep régional de Lanaudière à Terrebonne, qui a souhaité réagir aux orientations souhaitées par les universités à l’égard des Sciences humaines au collégial.
N’hésitez pas à déposer vos propres commentaires à la suite de ce texte.
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J'ai pris connaissance des comptes rendus des travaux du Réseau des sciences humaines des collèges du Québec (RSHCQ) et d’un document de la Commission des affaires pédagogiques (CAP) touchant le nouveau devis. J'ai été surpris d’apprendre que les universités désiraient une formation plus générale de nos étudiants de Sciences humaines: caractère universel et fondateur, des bases disciplinaires et transdisciplinaires, apprendre à apprendre, etc.
Nous, le Cégep régional de Lanaudière à Terrebonne (CRLT), sommes présentement en évaluation programme (l’évaluation ayant débuté à l’automne 2015) et nous avons sondé 363 étudiants (diplômés, étudiants de 2e et 1re année), 18 enseignants et quelques conseillers d’orientation de la Commission scolaire des Affluents (bassin d’étudiants du secondaire qui viennent étudier au CRLT). De façon unanime, nous arrivons au même constat: les étudiants désirent avoir un profil moins général et plus spécialisé (plus de cours associés à leur programme d’études universitaires). En d’autres mots, plus un profil est bien orienté, plus les étudiants le choisissent.
En analysant les corrélations entre le nombre des nouveaux inscrits dans nos trois profils de Sciences humaines et le nombre des nouveaux inscrits dans les autres programmes du collège, nous avons observé des coefficients de corrélation négatifs significatifs entre le profil Administration et le programme Techniques de comptabilité et gestion (TCG), puis entre le profil Individu/Monde et l’ensemble des programmes techniques (donc plus il y a d’inscriptions dans les programmes techniques, moins il y a d’inscriptions en sciences humaines, et inversement).
De plus, les conseillers d’orientation des commissions scolaires de notre région nous ont confirmé (nos analyses statistiques arrivent aux mêmes résultats) que les étudiants du secondaire qui désirent poursuivre leurs études collégiales en sciences humaines choisissent les cégeps où les profils sont les mieux orientés (plus spécialisés), les profils qui correspondent le mieux à leurs objectifs d’études universitaires. Enfin, si les universités désirent davantage d’étudiants ayant une bonne formation générale, pourquoi existent-ils de plus en plus de passerelles DEC-BACC ?
Il me semble qu’il y a une contradiction entre nos résultats statistiques et les conclusions du « Comité-conseil en Sciences humaines ». Je crois sincèrement que le Comité-conseil va dans la mauvaise direction. De toute façon, si nous allons avec des suggestions qui vont vers des programmes où la formation est encore plus générale, nous allons continuer de perdre de plus en plus d’étudiants (les demandes d’admission au 1er tour du SRAM ont diminué de 17 % entre 2012 et 2016).
Dominic Roy
Enseignant en économique au Cégep régional de Lanaudière à Terrebonne (CRLT)