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Edgar Morin |
"Connaître et penser, ce n'est pas arriver à une
vérité absolument certaine, c'est dialoguer avec l'incertitude.
…toute connaissance est une reconstruction/traduction par
un esprit/cerveau dans une culture et un temps donné. "(Edgar Morin)
Selon
le Petit Robert, le terme intégration signifie, entre autre, l' incorporation
de nouveaux éléments à un système. Si l'on applique cette définition au cours
d'Intégration on pourrait alors le définir ainsi: incorporer un ensemble de concepts
déjà assimilés à un autre ensemble de concepts également assimilés. La
nouveauté se situe au niveau des relations pouvant être établies entre les
ensembles de concepts. Intégrer prend ici plus particulièrement le sens de
réaliser une série plus où moins complexe d'opérations telles que d'établir des
liens, d'assimiler, d'unifier, et de comparer, des concepts. Intégration dans
le sens également d'avoir atteint un niveau de compétence dans le champ des
sciences humaines; compétence qui peut se traduire par un certain nombre de
savoirs, de savoir être et de savoirs faire. Une compétence est un ensemble de
savoirs, de savoir-faire et de savoir-être qui sont activés lors de la
planification et de l'exécution d'une tâche donnée.
Le
cours d'Intégration est une occasion unique pour l'étudiant de poser une
réflexion sur ses connaissances, de développer son jugement critique, d'affiner
ses processus cognitifs (analyse, synthèse, pensée divergente, convergente,
etc..) et de cultiver certaines attitudes lui permettant de reconsidérer ses
perceptions, d'atteindre un niveau de confiance de flexibilité et d'ouverture
dans son expression orale et écrite. Comme le souligne si bien Jankélévitch :
"Toute
ma vérité ici-bas n'est-elle pas de me sentir exister dans l'estime, l'opinion
et la confiance des autres"
Et
cette vérité ne réside-t-elle pas dans une sentiment de compétence s'appuyant
sur la capacité de remanier une réalité de façon économique par l'entremise de
savoirs, de savoirs faire et de savoirs-être. Vérité permettant à l'étudiant de
ne plus aborder les situations comme des catastrophes imprévisibles ou des
frustrations insupportables mais comme des moments de ruptures, de remise en
ordre du réel qui font de la vie un aventure unique pour chacun de nous.
La
notion de savoir-être implique des dimensions telles que l'expression, les
attitudes, et la métacognition .
L'expression, premier niveau du
savoir-être, (être en mesure de se manifester et de "sentir exister
dans l'estime, l'opinion et la confiance des autres") suppose un
espace intérieur de sensations, c'est à dire un lieu de re/présentation de ces
sensations (perception). Lorsque cet espace de représentation disparaît,
l'individu peut se retrouver en état de psychose ou "d'acting
out". L'expression a comme point d'encrage le rythme et donne accès au
regroupement.
Le
rythme est probablement la première manifestation de l'expression et de la
coordination (le mouvement, le balancement, la danse etc.). Sans régulation il
devient étourdissement, douleur, cri; cependant, avec la régulation, c'est à
dire avec la capacité de l'organiser, de le structurer, il se nuance, il se
définit, il crée des mélodies, des airs, des façons de faire et d'être
différentes de celles des autres. Chacun possède son propre rythme, intimement
lié à l'expression et à l'émotion. On sait à quel point un changement de rythme
de vie peut affecter l'expression et à quel point l'émotion peut affecter le
rythme (cardiaque, respiratoire). C'est notre capacité d'organiser
(regroupement) notre rythme qui nous mènera vers l'expression.
Le
regroupement est une fonction permettant des opérations logiques et analogiques
telles que l'inclusion, l'exclusion, la comparaison, la généralisation, et la
métaphore. Penser est en quelque sorte avoir la capacité de regrouper des
rythmes Avec l'arrivée du regroupement, l'expression peut être anticipée,
imaginée, synthétisée, remodelée et crée.
L'expression
est le fondement de l'identité; c'est la capacité de se manifester, de se dire,
de s'aménager un espace intérieur de réflexion, et de la partager avec les
autres. Elle permet de moduler notre corps, nos émotions, notre discours.; elle
permet également développer un savoir être en relation avec soi, avec les
autres et avec le monde. Les moyens pour y parvenir peuvent être nombreux mais
nous situerons les notre davantage au niveau de l'introspection et du partage
de l'information entre étudiants. Il est cependant important de souligner que
sans l'intégration de certaines attitudes, l'expression peut se figer ou être totalement
inconvenante..
L'attitude se réfère à une disponibilité
de l'esprit permettant l'atteinte de certains buts tels que la flexibilité,
l'ouverture d'esprit, la confiance, la curiosité. L'attitude est une
disposition que possède l'individu à choisir tel ou tel type de comportement en
relation avec le souvenir agréable ou non d'une expérience passée. L'attitude
est un facteur important de la motivation; elle est en grande partie
responsable de l'activation de la motivation. Les attitudes que nous avons énumérées
seront fortement encouragées, soulignées, et elles feront l'objet de réflexions
propre au développement de la métacognition.
La
métacognition
suppose un espace de représentation intérieur, permettant de se re/présenter
les processus mis en jeu lors d'une résolution de problèmes. Elle a pour but
d'élargir le champ de conscience de l'apprenant et donc sa capacité à
réutiliser ce qu'il sait dans des contextes différents. La métacognition se
traduit par les opérations mentales mises en oeuvre lors d'un apprentissage;
c'est en quelque sorte un savoir sur son savoir qui permet la modélisation
d'une compétence. Nous présenterons certains moyens permettant de développer la
métacognition.
Nous
avons donc envisagé différents procédés permettant à l'étudiant d'étendre des
savoirs- être. Parmi ceux-ci, nous privilégions la tenue d'un journal de bord,
s'ouvrant sur un récit d'apprentissage. Le récit d'apprentissage permet à
l'étudiant de toucher aux trois dimensions des savoirs être: l'expression, les
attitudes, et la métacognition. Lors de cet exercice, l'étudiant doit se
remémorer un apprentissage qui lui a été très significatif expliquer en quoi il
l'a été (les facteurs facilitants) ainsi que les conséquences intrinsèques et
extrinsèques de cet apprentissage. L'étudiant comparera les conditions et les
moyens facilitateurs qui ont mené à cet apprentissage à sa situation
d'étudiant. Il pourrait être également intéressant d'ouvrir une discussion lors
de laquelle les étudiants pourraient relater leurs expériences et en faire part
aux autres. Un exercice de synthèse permettrait de cerner les aspects
importants d'un apprentissage significatif.
Le
journal de bord, devrait être un outil de base, un confident dans lequel
l'étudiant projette ses attentes, ses réflexions, ses frustrations, ses
critiques. Il servirait de réflexion suite à des discussions de groupes.
Le
développement d'un savoir-être implique un certain degré de motivation, un
montage et un rodage. La motivation comporte un engagement émotif et cognitif
de la part des intéressés. Elle est la bougie d'allumage de tout le processus
et son activation ne peut que se faire par l'étudiant. Bien sûr que nous
pouvons créer les conditions optimales pour cette activation et c'est ici
qu'intervient le montage: c'est en quelque sorte le cadre, l'environnement, la
logistique. La capacité de créer un sentiment d'appartenance où chaque individu
y trouvera sa place est une condition essentielle au développement de la
compétence et de l'estime de soi.
Il
ne reste plus par la suite qu'à effectuer le rodage et ajuster nos
interventions, nos orientations et nos évaluations en fonction de nos
réflexions et des feed-back des étudiants.
Nous
sommes conscient de l'importance pour un étudiant de développer une compétence
par le biais de savoirs, de savoir-faire et de savoirs-être; de développer par
le fait même un sentiment de compétence, s'appuyant sur une motivation à
l'accomplissement élevée, et sur une capacité d'expression personnelle dans le
respect de soi et des autres. Apprendre à nos étudiants à développer un savoir
en relation avec soi, les autres et le monde. Savoir être en mesure de recevoir
l'Autre, de partager un espace intérieur de sensation, un espace intérieur de
représentation, être en mesure se re/présenter les connaissances par le biais
de la symbolisation et la conceptualisation.
Charles Martin
Prof de Psychologie et coordonnateur du Département des Sciences humaines
du Cégep de Lévis Lauzon