Certes, on ne peut que se réjouir des nouvelles intentions du gouvernement Marois de valoriser l'enseignement de l'histoire nationale dans les cégeps. Au-delà du débat épistémologique entre les champs de l'histoire sociale et de l'histoire politique, l'ajout d'un cours sur le Québec contemporain répond à un besoin criant pour les jeunes adultes de connaître plus en profondeur les événements historico-politiques qui ont jalonné le Québec et qui influencent toujours la société québécoise. Cependant, la rapidité avec laquelle semble vouloir procéder le gouvernement minoritaire du PQ laisse entrevoir des difficultés sur les plans logistique et intellectuel.
Rappelons que le régime des études collégiales au Québec est à plusieurs égards unique, et que son objectif principal, contrairement aux études primaires et secondaires, ne réside nullement dans l'acquisition de compétences fondamentales comme lire, écrire et compter. Au contraire, les cégeps ont plutôt pour mandat d'offrir une solide formation de connaissances générales et spécifiques avec pour objectif de préparer les étudiants au marché du travail ou encore aux études universitaires. Cependant, peu importe le programme d'études, les étudiants doivent obligatoirement suivre des cours de formation générale (français, philosophie, anglais, éducation physique). C'est précisément là que le gouvernement veut insérer le nouveau cours sur le Québec contemporain.
Comme le mandat des cégeps est, entre autres, de développer une perspective critique et citoyenne grâce aux cours communs de formation générale, il y a lieu de s'interroger sur la pertinence d'adopter uniquement la perspective historique pour traiter des enjeux du Québec contemporain. Par exemple, ne serait-il pas intéressant, et plus logique, d'entrevoir la possibilité d'ouvrir ce nouveau cours à d'autres disciplines que celle de l'histoire proprement dite, et d'ainsi favoriser une diversité d'approches et d'intérêts qui cadre davantage avec les études dites supérieures. C'est d'ailleurs le modèle adopté dans le réseau des collèges anglophones du Québec où, rappelons-le, les différentes disciplines des sciences humaines offrent plusieurs cours de formation générale sous l'appellation de «humanities». Est-ce vraiment dans l'intérêt des étudiants de limiter l'étude du Québec contemporain à sa seule dimension historique, alors qu'ils ont déjà été initiés à l'histoire du Québec au primaire et au secondaire? Est-ce vraiment là le mandat des cégeps et des études supérieures? Voilà des questions qui méritent réflexion.
Des impacts significatifs
Parallèlement à ce débat de fond, il ne faut pas négliger non plus les nombreux écueils à la fois logistiques et administratifs. Procéder à une telle réforme, en toute vitesse, avec peu de consultations, relève presque de l'inconscience. Est-il réaliste d'ajouter un cours à la formation générale sans toucher à l'édifice complexe des différentes disciplines qui y enseignent? Rien n'est moins sûr, même si, pour des raisons politiques évidentes, le gouvernement veut éviter à tout prix d'ouvrir le débat sur la pertinence de certaines disciplines de formation générale. Pensons, entre autres, à l'anglais, qui relève davantage des compétences fondamentales, et qui devrait être normalement maîtrisé en amont aux cycles primaire et secondaire.
Jusqu'à présent, deux scénarios ont été évoqués par le gouvernement afin d'intégrer le cours sur le Québec contemporain à la formation générale. Dans un premier temps, le cours pourrait prendre la place d'un des deux cours complémentaires offerts à tous les étudiants du réseau collégial. Ce scénario, même s'il a pour avantage de ne pas toucher spécifiquement aux disciplines de formation générale, comporte néanmoins un risque important d'un point de vue administratif. C'est qu'en effet, les directions des collèges du Québec se servent souvent des cours complémentaires pour équilibrer l'offre des cours dans les différents programmes d'enseignement et répartir les tâches des départements. Intégrer un nouveau cours à la formation générale en touchant à la banque des cours complémentaires signifie automatiquement qu'il y aura plusieurs disciplines et départements qui perdront un nombre important de professeurs permanents et précaires. C'est le cas notamment de plusieurs disciplines du programme des sciences humaines, qui, rappelons-le, est le plus grand programme du réseau collégial.
Le deuxième scénario évoqué consiste à ajouter trois heures de plus à la formation obligatoire. Ce scénario a pour avantage de ne pas toucher aux disciplines qui enseignent déjà en formation générale, sans pour autant enlever la marge de manœuvre que procure l'offre des cours complémentaires dans la gestion des programmes d'enseignement. Par contre, elle pose d'autres problématiques tout aussi importantes. Il faut savoir que contrairement aux études universitaires, les études collégiales obligent les étudiants à suivre de 25 à 35 heures de cours par semaine. Ajouter trois heures de plus dans les programmes techniques et pré-universitaires aura forcément un impact significatif sur la réussite ou encore sur le prolongement des études collégiales. Cette situation pourrait amplifier un phénomène déjà alarmant, puisqu'environ 60 % des étudiants du réseau ne terminent plus leur Diplôme d'études collégiales dans les temps réglementaires.
À l'évidence, une réforme de l'ampleur proposée par le gouvernement ne doit se réaliser ni dans la précipitation, ni sans avoir une vision globale du réseau collégial. Espérons que sur ce dossier délicat, le gouvernement Marois n'avancera pas aussi rapidement que lors de son arrivée au pouvoir.
Antonin-Xavier Fournier, professeur de sciences politiques et coordonnateur du programme Histoire et Civilisation
Cégep de Sherbrooke
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