La discussion engendrée par la proposition d’ajout d’un cours d’histoire du Québec au collégial crée des remous significatifs. Au-delà des enjeux d’emplois, c’est toute la formation générale qui se voit bousculée par l’arrivée d’un cours associé aux sciences humaines. Les cours de français, de philosophie, d’anglais et d’éducation physique caractérisent les cégeps et en marquent l’originalité. Pourtant, ils sont régulièrement remis en question, tout comme les cégeps d’ailleurs. Les cours complémentaires ont jadis occupé une place significative dans les programmes collégiaux. Au début des années 1990, on les a réduits de moitié, essentiellement pour faire place aux cours d’anglais. Lors de ce remaniement majeur, le nombre d’heures de cours de philosophie et d’éducation physique a aussi été réduit.
La formation générale et complémentaire est souvent mal perçue par les étudiantes et étudiants du secteur technique. Les problèmes de réussite qu’ils y rencontrent les amènent à en questionner la pertinence et à douter de son utilité dans le cadre de leur future profession. Généralement, les professeurs des programmes techniques défendent la présence de la formation générale. Cependant, plusieurs d’entre eux partagent plus ou moins entièrement le point de vue étudiant. On souhaiterait qu’elle prenne moins de place, puisque la formation spécifique est habituellement très chargée et que cela contribue à alourdir grandement les programmes. On estime aussi qu’elle contribue à retarder la diplomation et à accroitre les risques d’échec et d’abandon. On souhaiterait qu’elle se colle davantage aux besoins spécifiques de formation : des cours de français adaptés, des cours d’anglais sur mesure... Les tensions occasionnées par le mariage entre la formation générale et spécifique existent depuis toujours. En ce qui a trait aux cours complémentaires, certains programmes ont d’ailleurs réussi à les utiliser pour satisfaire des besoins spécifiques de formation, ne laissant plus qu’un seul cours hors programme, au choix de l’étudiante ou de l’étudiant, voire aucun choix, dans quelques rares programmes. En outre, dans plusieurs cégeps, ces cours servent essentiellement à stabiliser du personnel, ce qui a pour effet de situer l’offre de cours complémentaire dans une logique de tâche qui l’éloigne de son objectif initial.
Des critiques à l’endroit de la formation générale proviennent aussi des sciences humaines. La grande place occupée par la formation générale (presque la moitié du programme Sciences humaines) est sujette à controverse. Elle s’explique notamment par l’importance de la philosophie dans les écoles classiques et par les choix effectués lors de la fondation des cégeps. Comme on l’a entendu récemment, lors de la création des cégeps, on a choisi d’exclure l’histoire de la formation générale, mais aussi toutes les sciences humaines. Plusieurs d’entre elles mériteraient pourtant d’y apparaître. C’est d’ailleurs l’option choisie dès le départ par les cégeps anglophones qui ont remplacé la philosophie par les « humanités ». Également, parmi les choses souvent dites à mots couverts, on critique le quatrième cours de français et parfois aussi le deuxième cours d’anglais. Que ces critiques soient justifiées ou non, bien des professeurs aimeraient revoir un peu la donne… Ce type de remarque n’est pas très agréable à entendre par nos collègues de la formation générale, étant donné les enjeux d’emploi que cela sous-tend inévitablement.
Il n’y a pas que les critiques envers la formation générale qui animent les discussions sur l’organisation des cégeps. Au fil du temps et des réformes, la diminution des cours complémentaires et la façon dont ils sont utilisés ont fait en sorte que cette formation a perdu de son sens. Cela en a fait une cible facile pour répondre à d’autres besoins de formation. Il n’est donc pas étonnant que, pour éviter de réinvestir dans les cégeps ou de faire des choix encore plus douloureux comme celui de toucher à d’autres cours de la formation générale, on vise un cours complémentaire pour lui aménager une place.
L’arrivée d’un nouveau cours vient ébranler encore le fragile équilibre entre la formation générale (et complémentaire) et la formation spécifique. Les enjeux d’emplois se situent au cœur du problème et ils génèrent inévitablement des tensions et des remises en question. Ce sont probablement les professeurs de philosophie et d’éducation physique qui se sentent les plus menacés par l’actuel projet. Comme ils ont historiquement déjà perdu une portion de la place originale qu’ils occupaient, ils savent que cette place peut être à nouveau précarisée. À l’époque, plusieurs cégeps avaient compensé les pertes encourues dans ces départements par un accès à ce qu’il restait de cours complémentaires, qui semblent présentement en voie de disparition...
En fait, à l’heure actuelle, tous ceux dont les emplois tiennent à la présence des cours complémentaires doivent être inquiets. Plusieurs postes seront créés alors que d’autres risquent de disparaitre ou réduits à du temps partiel. Bien que, en Sciences humaines, la venue de ce cours soit jugée positivement par la majorité du personnel enseignant, selon les choix qui seront faits, dans certains cas, le changement proposé touchera directement les disciplines qui offrent des cours complémentaires. Il engendrera inévitablement des remaniements dans certaines grilles de cours. Il existe un certain nombre de vases communicants entre disciplines et entre programmes. Les pertes seront inévitablement absorbées quelque part. Si du personnel permanent est touché, cela occasionnera des mouvements qui, en Sciences humaines, seront épongés en bonne partie par les cours de méthodologie. D’ailleurs, on peut penser que le cours complémentaire qui survivra (s’il survit…) servira aussi à stabiliser le personnel touché. Cet important changement ne s’effectuera pas à coût zéro...
Depuis longtemps, la position occupée par certaines disciplines dans les grilles de cours, l’accès aux cours transdisciplinaires ou encore au bassin de cours complémentaires suscitent de fortes discussions dans la plupart des cégeps. Cela est particulièrement vrai en Sciences humaines, parce que les disciplines sont nombreuses et les places limitées. Une forme d’arbitrage est parfois nécessaire pour réduire les tensions que cela occasionne. Le ministère détient une part de responsabilités à cet égard; espérons qu’il en a conscience et qu’il l’assumera.
Un cours ayant pour objet le Québec est jugé pertinent par bon nombre de professeurs et d’experts. Les discussions autour de ce remaniement doivent demeurer constructives. La meilleure façon d’y arriver est indéniablement de se placer du point de vue des étudiantes et étudiants. L’institution collégiale a le devoir d’offrir une formation de qualité, pertinente et cohérente! Il est un peu étonnant d’ailleurs que l’on s’apprête à rédiger un cours de niveau collégial sans savoir exactement ce qui s’enseignera au niveau secondaire... Dans tous les cégeps, veiller à la cohérence des Sciences humaines constitue une préoccupation importante. L’ajout de ce cours devient l’occasion d’en renforcer la présence et d’en revaloriser l’image. Souhaitons que cela serve d’abord à rehausser significativement la qualité de la formation de tous les cégépiens et cégépiennes!
Claire Denis, présidente du RSHCQ
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