La préoccupation du rayonnement et de la défense du programme de Sciences humaines a d’abord été soulevée par le comité d’enseignantes et d’enseignants des sciences humaines et a donné naissance au RSHCQ en 2011. Le comité d’enseignantes et d’enseignants avait, pour sa part, été mis sur pied dans la foulée des changements significatifs apportés au programme au début des années 1990 (ajout des cours du tronc commun en méthodologie et des trois cours disciplinaires obligatoires, entre autres). M. Maurice Angers, à l’occasion d’une journée d’étude du RSHCQ, mentionnait d’ailleurs qu’il a fallu des années (plus de 10 ans !) de discussions et de collaboration entre des représentants des disciplines des sciences humaines pour réformer le programme et tenter de l’uniformiser. On reprochait notamment à ce programme une diversité de cours si grande que cela finissait par lui faire perdre sa crédibilité... Plus tard, l’introduction d’une sorte de séquence (suivre un cours d’introduction disciplinaire avant de pouvoir accéder aux étapes suivantes par exemple) visait aussi une plus grande cohérence de ce parcours collégial.
Bref, pour bonifier et défendre ce programme, pour veiller à ce qu’il ait sa juste part des ressources collégiales, il est essentiel de nous coordonner et de mettre en place des mécanismes de discussions pour tenter de nous donner une vision commune. Les réunions annuelles du comité d’enseignantes et d’enseignants, qui font partie des mécanismes habituels de consultation du ministère, ont été mises en suspens pour un temps indéterminé. Alors qui se charge présentement de « monitorer » l’état de santé de ce programme ? Il y a bien quelques associations disciplinaires qui offrent un certain point de vue sur le réseau, mais elles ont d’abord pour mission de s’occuper de leur propre discipline. Il y a aussi les cadres de nos cégeps et leur fédération ou le ministère qui peuvent aussi s’en préoccuper. Tous ces acteurs sont sans doute très bien intentionnés et soucieux du sort des sciences humaines et ils vous inspirent probablement une grande confiance, mais aucun d’eux ne donne de signes d’activité présentement...
Le programme de Sciences humaines est complexe. Il est caractérisé par de nombreuses disciplines ayant chacune leurs forces et par un lot d’étudiantes et d’étudiants avec des caractéristiques parfois lourdes à porter. C’est un programme qui coûte relativement peu cher, qui contribue à soutenir les nombreux petits programmes des cégeps et à rendre possible leur présence sur l’ensemble du territoire québécois. Mais en dehors de ce rôle de « vache à lait », les sciences humaines n’ont-elles pas autre chose de fondamental à offrir ? Quel est leur apport aux savoirs et aux compétences intellectuelles des cégépiens que l’on pourrait qualifier d’incontournable ? Quelle contribution spécifique apportent-elles à l’édifice éducatif québécois ? Le défunt cours d’histoire du Québec au collégial ne constituait-il pas un cas de figure de ce qui aurait pu être qualifié de contribution indispensable au système d’éducation ?
Si ce programme est important, comment expliquer que nous ayons de la difficulté à avoir deux ou trois professeurs dans certaines disciplines, voire un seul parfois dans les petits cégeps ? Est-ce qu’il se peut que ce programme n’ait pas sa juste part des ressources globales ? Dans certains cégeps, surtout les cégeps composés de nombreux programmes techniques, on envie parfois certaines disciplines, psychologie généralement et sociologie parfois, parce qu’elles ont la chance d’avoir une place dans d’autres programmes collégiaux. Mais dans les cégeps francophones, ce sont les cours complémentaires qui devaient permettre aux disciplines de rayonner en dehors des sciences humaines. Ils sont la seule voie d’accès à un bassin plus large d’étudiants. Au fil du temps, la réduction du nombre de cours complémentaires a eu pour effet de confiner davantage les sciences humaines à leur programme d’attache. La FNEEQ a calculé que les sciences humaines donnaient environ 18 % des cours complémentaires¹. Est-ce une juste part pour ce programme qui compte pour environ 30 % de la population étudiante ? Que dire des disciplines de la formation générale qui, dans certains cégeps, ont l’autorisation d’offrir des cours complémentaires ? Comment est-ce possible dans l’esprit même de cette catégorie de cours ? Combien d’anomalies de ce type est-il possible de recenser dans le réseau ? Combien de situations frustrantes subissons-nous chacun dans notre institution ? Faut-il mener une bagarre dans chacun des cégeps ? Quelle est notre analyse des causes de ces situations ? N’avons-nous pas pris l’habitude de penser sur une base locale, ou pire strictement disciplinaire, plutôt que d’envisager l’aspect systémique des choses ? Sommes-nous satisfaits du programme actuellement ? N’y aurait-il pas des choses à repenser ou des succès à partager ?
Une dernière question mérite d’être soulevée: celle de la qualité de la formation en Sciences humaines. D’abord, à quel autre programme peut-il se comparer et, dans le modèle actuel, est-ce que les étudiantes et étudiants reçoivent une formation et un suivi d’une qualité comparable à celle des autres programmes collégiaux ? Le simple écart entre le nombre d’étudiants suivis par un professeur en Sciences de la nature et un professeur en Sciences humaines devrait nous faire réfléchir. En outre, si l’on estime que cette population étudiante est mal servie par le système actuel, qu’en est-il en période de compression ?
Le RSHCQ s’est donné pour mission de veiller sur les sciences humaines et de les valoriser dans le réseau collégial et auprès de la population en général. Les problèmes de ce programme s’expliquent largement de manière structurelle et systémique et cela met généralement en cause des décisions (ou le vide…) qui relèvent du niveau provincial. Au local, la marge de manœuvre des cégeps ne leur permet pas vraiment de s’attaquer à des problèmes de ce type et, généralement, quand on cherche à corriger des situations, le programme de Sciences humaines est ramené sur le même pied que tous les autres programmes...
Sans comité d’enseignantes et d’enseignants pour prendre le pouls du réseau au moins une fois l’an, le rôle du RSHCQ devient essentiel. Or les quelques bénévoles du Réseau ne peuvent assumer seuls cette tâche ! Qui veille sur les sciences humaines ? Si ce n’est pas à nous d’y voir, il n’y aura probablement personne de vraiment compétent pour le faire.
Claire Denis
Professeure de sociologie (Cégep de Sherbrooke)
Présidente du RSHCQ
1. FNEEQ CSN. COMITÉ ÉCOLE ET SOCIÉTÉ, Rapport d’analyse relatif à l’introduction d’un cours d’histoire du Québec contemporain au collégial, déc. 2013, p. 35.
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