À titre de professeurs, mais
également d’auteurs et d’acteurs impliqués dans le développement et la défense
des sciences humaines au collégial, Maurice Angers et Claire Denis nous partagent
leurs réflexions sur la révision de programme en cours. Vos commentaires sont
les bienvenus. À noter qu’une version abrégée de ce texte est parue dans Le Devoir, le 30 mars.
* * *
Le Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec a entrepris une révision du programme collégial Sciences humaines. Une actualisation est somme toute normale puisque ce programme a été implanté en 1991 et reformulé en compétences au tournant du XXIe siècle. Une première étape de cet examen a été franchie puisqu’une consultation des responsables des programmes universitaires de domaines associés aux sciences humaines a été réalisée. Elle a été menée grâce à une enquête par questionnaires et a donné lieu à un rapport déposé en octobre 2016 par le consultant Jacques Belleau intitulé : Le profil attendu par les universités de la part des diplômés du programme d’études préuniversitaires Science humaines. Un groupe de travail formé par le ministère se penche en ce moment sur ce rapport pour revoir l’orientation à donner au programme.
Le programme Sciences humaines
constitue le programme le plus populeux du réseau collégial. Il représente près
de la moitié des étudiantes et étudiants inscrits au préuniversitaire et
environ 30 % de tous les cégépiens. Il se caractérise par de nombreux
intervenants en provenance de disciplines très variées (une dizaine
officiellement admise par le ministère). Les nombreux intervenants qui, de près
ou de loin, vont jouer de leur influence dans ce dossier nous portent à rendre
public notre propre constat. Nous sommes deux enseignants, l’un à la retraite,
l’autre s’en approchant, qui se sont, au fil des trente dernières années,
impliqués dans l’élaboration, l’implantation et le suivi du programme des
sciences humaines. Nous avons occupé des postes de responsabilités au plan
local comme au plan provincial pour mener avec succès la réforme majeure qui
s’est effectuée en 1991 et dont il ne faudrait pas perdre les acquis.
Un peu d’histoire : le
programme Sciences humaines version
1991
En 1989, un mini-colloque avait réuni, au Cégep Édouard-Montpetit, les
Coordonnateurs provinciaux des disciplines des sciences humaines et leurs
exécutifs respectifs (des professeurs du collégial représentant une dizaine de
disciplines) et des représentants des départements des sciences humaines des
universités québécoises. Les propos tenus par les universitaires à ce colloque
ressemblaient étrangement aux conclusions des attentes actuelles des
universités, si l’on se fie au rapport Belleau commandé par le ministère
(Belleau, 2016). Les universitaires ne voulaient surtout pas que la formation
collégiale en sciences humaines ressemble à une mini-spécialisation dans l’une
ou l’autre de leur propre discipline universitaire, les départements
universitaires de psychologie et de sciences de l’administration ayant été les
plus fermes à ce propos. Ils voulaient au contraire que cette formation
ressemble à une sorte de culture générale, à la fois disciplinaire et
transdisciplinaire, axée sur l’« apprendre à apprendre ».
Le rapport actuel présente une position similaire : « Il s’agit
d’acquérir les savoirs, les savoir-faire et les savoir-être permettant
d’explorer et de comprendre les différentes facettes de l’homme et des sociétés
humaines et, surtout, d’être en mesure de les utiliser concrètement »
(Belleau, 2016, p. 16). En outre, la priorité de ce rapport va au-delà des
sciences humaines puisque les universitaires souhaitent d’abord et avant tout,
comme condition sine qua non à une bonne préparation à l’université, que les collégiennes
et collégiens maîtrisent mieux la langue d’enseignement, en l’occurrence le
français pour les cégeps francophones. Il faut préciser que, alors qu’ils
étaient absents du colloque de 1989, les professeurs des départements des Sciences
de l’éducation ont été les plus nombreux à participer à la récente enquête.
C’est à la fois positif et symptomatique d’un problème systémique, le manque de
maîtrise de leur langue d’enseignement et les effets négatifs sur le reste de
leur apprentissage, déjà connu et qui ne peut se résoudre simplement en
réformant le programme Sciences humaines.
Un programme bonifié, apprécié
Rappelons que le programme collégial Sciences
humaines implanté en septembre 1991 a répondu en bonne partie aux attentes
exprimées par les universités, qui alors comme aujourd’hui demandaient une
formation à caractère plus général que spécifique. Avant cette réforme, le
programme Sciences humaines était éclaté comme l’avait souligné le Livre blanc
sur l’enseignement collégial en 1978. Il avait une très mauvaise réputation,
qualifié tantôt de programme fourre-tout, de programme-cafétéria ou de programme
de derniers recours. Il faut dire que les éléments du programme étaient laissés
au bon vouloir de chaque administration locale, les préalables universitaires
étant presque tous disparus au fil des ans. En 1991, la réforme du programme a
constitué une petite révolution. Les faits saillants furent : un tronc
commun de cours obligatoires à travers la province, un resserrement des choix
de cours pouvant être dispensés, une formation contenant des cours
transdisciplinaires (méthodes quantitatives, méthodologie de la recherche et
activité d’intégration des connaissances acquises), une initiation obligatoire
à l’histoire, à l’économie et à la psychologie et des profils de cours orientés
vers l’individu, la société ou le monde, mais aussi vers l’administration pour
répondre à une demande plus spécifique.
Cette refonte que l’on peut qualifier de majeure était le fruit de
plusieurs années de concertation et de négociation entre les coordonnateurs
provinciaux des disciplines de sciences humaines et le ministère. Ce travail en
commun entre des disciplines, souvent concurrentes puisque s’adressant à une
même population étudiante, a porté fruit. En se concertant, toutes les
disciplines des sciences humaines y ont gagné par l’ajout de ressources axées
sur l’enseignement des méthodes de recherche propres aux sciences humaines.
À un colloque d’universitaires en sciences de l’éducation, quelques années
à peine après la réforme, ces derniers ont mentionné être désormais capables de
distinguer les étudiants qui provenaient du programme Sciences humaines des autres programmes du collégial, les premiers
étant mieux formés au regard de leur propre programme. Cette réforme des années
1990 a
aussi été un succès, si on en juge par les propos actuels des universitaires
puisque le rapport mentionne à cet effet : « un certain niveau de
pertinence de la formation actuelle » (Belleau, 2016, p. 60). Le profil
attendu des universités, comme présenté dans le rapport Belleau, semble
confirmer que le virage entrepris vers une formation moins éclatée, composé
notamment d’un tronc commun et de cours disciplinaires et transdisciplinaires,
était le bon.
Le programme Sciences humaines version 2001
Le programme de 1991, à peine mis en marche, a été révisé et finalisé en
2001 par le ministère. Cette révision a consisté essentiellement en une
« traduction » du programme en compétences. Cependant, au cours de
cet exercice, les acquis de 1991 n’ont pas été remis en question. On a maintenu
les cours de méthodologie ajoutés en 1991 et on a confirmé la place des
disciplines psychologie, histoire et économie dans ce tronc commun. Le
principal apport de la refonte de 2001 a été, en plus du maintien du tronc
commun, d’insérer une séquence de cours à l’intérieur du programme ayant pour
effet de recommander la mise en place d’un cours d’initiation disciplinaire
avant de permettre l’accès à un cours plus avancé. La séquence initiation,
application, approfondissement et enrichissement du devis ministériel de 2001, même
si elle fut sujette à interprétation, elle semble avoir été respectée par une
majorité de cégeps dans la fabrication de leurs grilles de cours (confirmé par
une enquête interne menée par le Réseau des sciences humaines des collèges du
Québec (RSHCQ). Elle contribue également à resserrer la qualité du programme et
à éviter de tomber dans le piège du clientélisme et de la concurrence entre
programmes et entre cégeps.
La principale critique exprimée envers le programme actuel vise les
libellés de compétence. Rédigés à une époque où cette approche n’était pas maîtrisée,
plusieurs de ces libellés demandent à être clarifiés et rehaussés dans certains
cas. Sur le plan des acquis, le renforcement de la dimension scientifique du
programme fait largement consensus et on souhaiterait généralement qu’elle soit
maintenue, voire bonifiée.
Bonifier le programme et en
préserver les acquis
En éducation, l’une des habitudes connues lorsque vient le temps
d’effectuer des changements consiste à faire table rase de ce qui existe, ou du
moins de proposer un remède miracle issu d’une nouvelle théorie pédagogique… Le
programme actuel a certes besoin d’une cure de rajeunissement, mais il demande
surtout à être bonifié. D’ailleurs, dans le cadre de l’enquête interne menée
par le RSHCQ, une majorité des répondants (une cinquantaine de cégeps y ont
participé) souhaitent une réforme mineure. Même si la signification de réforme
majeure et de réforme mineure n’est pas clairement définie, l’opinion exprimée
confirme une satisfaction significative envers le programme actuel. Plusieurs
des problèmes soulevés relèvent davantage de l’organisation locale des
programmes. Le ministère a le devoir de veiller à mettre en place les
conditions favorisant un programme de qualité dans l’ensemble du réseau
collégial en poursuivant les efforts entrepris dans les années 90 pour bonifier
ce programme encore quelque peu mal-aimé et sous-estimé dans l’esprit du
public. Les professeurs de toutes les disciplines de Sciences humaines doivent
unir leurs voix pour réclamer plus d’espace dans le processus de consultation
actuel et s’outiller pour mener à bien cette importante opération. La
concertation de 1991 a
permis une augmentation des ressources affectées à la méthodologie. En 2001, une
augmentation des heures d’enseignement a aussi été autorisée pour mettre à
niveau ce programme et le standardiser… Que demander cette fois-ci ?
Distinguer enjeux locaux et
nationaux
Comme mentionné, plusieurs des récriminations soulevées et des tensions
existantes dans les programmes prennent racine dans la manière d’organiser le
programme dans chaque collège. Derrière ces tensions, on retrouve des enjeux d’emploi,
de tâches comme on dit dans le milieu, et ces enjeux ne doivent pas nuire à la
bonification du programme. Le ministère a délégué aux cégeps une large part de
ses responsabilités. Cependant, pour un programme aussi important, une
direction nationale est probablement nécessaire pour une meilleure continuité
de la formation entre les cégeps et les universités. En outre, le programme est
défini nationalement et les problèmes occasionnés par son opérationnalisation
sont laissés aux directions locales. Or, au premier chef, le ministère conserve
la responsabilité de veiller à la qualité de ce programme, en y accordant des ressources
suffisantes, mais aussi en veillant à lui insuffler une direction positive. En
période de révision, il a aussi le devoir de consulter le milieu adéquatement
et de bien évaluer les conséquences de ses choix pour tout le réseau collégial.
Les professeurs, pour leur part, ont la responsabilité de s’élever
au-dessus de leurs intérêts disciplinaires et d’unir leurs efforts pour
l’intérêt supérieur du programme et de sa population étudiante. Les autres parties
interpellées par la révision de cet important programme, les directions des
collèges notamment, doivent aussi suivre cette révision avec sérieux et cesser
de traiter ce programme comme un parmi d’autres… Le programme Sciences humaines ne se compare à aucun
autre. Le seul programme qui lui ressemble un peu est Sciences de la nature… et
les différences restent notables. On a qu’à penser aux nombreux préalables
universitaires caractérisant cet autre pilier des cégeps.
Il existe des solutions pour relancer et bonifier le programme Sciences
humaines. Il faut faire l’effort de les identifier au-delà de la stricte
réécriture du programme et de proposer aux cégeps locaux des idées pour mieux
organiser les ressources et réduire les tensions. Par exemple, pour favoriser
une culture générale et éviter la surspécialisation, une règle pourrait édicter
qu’il n’y ait pas plus de deux ou trois cours par discipline dans ce programme
au plan local. On pourrait aussi augmenter le nombre de disciplines obligatoires
pour renforcer le tronc commun. Une autre hypothèse à explorer pour consolider
le programme et poursuivre son renforcement serait d’ajouter plus de cours transdisciplinaires
(multis) à caractère scientifique et méthodologique pour renforcer l’aspect scientifique
du programme. On connaît aussi l’importance grandissante de la culture
numérique dans toute formation d’avenir. On pourrait également renforcer la maîtrise
de la langue en mettant l’accent sur la rédaction d’essais ou de rapports
scientifiques. Les étudiantes et étudiants qui fréquentent le programme Sciences humaines écrivent beaucoup !
L’écriture scientifique constitue un genre de texte à valoriser et à intégrer
explicitement dans le parcours de ce programme. On peut réfléchir aussi à
augmenter le nombre de cours de 4 heures semaine, au lieu de trois, pour permettre
un meilleur suivi des étudiantes et étudiants et favoriser une moins grande
dispersion. D’autres solutions sont à imaginer et à tester, tout cela en n’oubliant
pas de permettre aux étudiantes et étudiants d’exprimer leurs préférences et de
choisir des cours et des profils signifiants et intéressants.
La discussion est ouverte. En espérant que ce saut dans le temps stimulera
des débats fertiles !
Maurice Angers, ex-professeur au Collège de Maisonneuve et ex-coordonnateur provincial de
Sociologie (1982-1992), ex-membre du Comité expert de rédaction du présent
programme Sciences humaines au collégial (1999-2001).
Claire Denis, ex-responsable du Comité des enseignantes et enseignants du programme
préuniversitaire Sciences humaines (2006-2013), ex-présidente du Réseau des
sciences humaines des collèges du Québec (RSHCQ) (2011-2016) et professeure au Cégep
de Sherbrooke.
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