Quel avenir pour le programme des sciences humaines
?
Les
sciences humaines et l’avenir de leur enseignement inquiètent. Partout dans le monde, on s’interroge. Par
exemple, au Royaume-Uni, l'Académie des sciences sociales a lancé une campagne
de financement pour faire une promotion de valorisation des sciences sociales
(http://www.campaignforsocialscience.org.uk
). Aux États-Unis, à la demande du Sénat et de la Chambre des Représentants,
l'Académie américaine des Arts et des Sciences a mis sur pied en 2010 la
Commission sur les Humanités et les Sciences Sociales pour analyser l’avenir de
ces disciplines. (http://www.humanitiescommission.org)
En France, le Centre international d’études pédagogiques (CIEP) a entrepris une
démarche sur l’avenir des sciences humaines et sociales. (http://www.ciep.fr/ries/ries49.php
).
Je
crois que partout où on s’interroge, on
constate que les sciences humaines forment un vaste champ de «connaissances molles»
dont on ne sait pas trop quoi en faire. Je dirais ici que quatre visions
s’affrontent :
1.
Les sciences humaines sont un patrimoine
important de connaissances académiques ; il faut le transmettre afin de former
des érudits…
2.
Les sciences
humaines se positionnent comme la conscience critique qui pose son regard sur
la société contemporaine ; il faut former des analystes au regard critique.
3.
Les sciences
humaines constituent le cadre de la culture générale que chaque homme devrait
posséder pour devenir un bon citoyen.
4.
Les sciences
humaines forment une espèce d’ingénierie sociale au service de la collectivité.
Cette instrumentalisation des sciences humaines amène la formation de techniciens
dans divers métiers spécialisés.
Au
Québec, on n’échappe pas à ces visions. Elles façonnent nos contenus de cours,
déterminent notre pédagogie. Au niveau secondaire, avec le renouveau pédagogique,
on a carrément tablé pour la vision de la culture générale et de la formation
du bon citoyen. Il faut saluer cette décision.
Au
niveau collégial, le programme des sciences humaines vise à :
rendre l'étudiant ou l'étudiante apte à poursuivre des études
universitaires dans les grands domaines des sciences humaines, du droit, des
sciences de l’éducation et des sciences de l’administration, par une formation scientifique basée sur
l’acquisition et l’intégration de connaissances et de méthodes de diverses
disciplines des sciences humaines.
Ainsi donc, le programme doit
d’abord et avant tout transmettre le patrimoine important de connaissances
académiques des sciences humaines. Il n’est pas là pour former des analystes à
l’esprit critique ou encore des « ingénieurs sociaux ». Laissons les
universités jongler avec ces visions.
Transmettre le patrimoine des
sciences humaines est une tâche colossale. Cela implique qu’on bâtisse un
programme qui embrasse très large. Il faut d’abord initier les étudiants aux théories,
aux lois générées par les diverses disciplines : économie, géographie,
histoire, politique, psychologie, sociologie, etc… Est-ce bien réaliste ? Il
faut aussi initier les étudiants à l’esprit scientifique et aux méthodes que
cela implique. Et finalement, il faut marier les deux, connaissances théoriques
et méthodes scientifiques. Ce sont carrément les travaux d’Hercule,
reconnaissons-le.
Le programme de sciences humaines
tel que déployé dans nos collèges parvient-il à ses fins ? À la sortie du
collège, nos étudiants peuvent-ils expliquer quelques théories ? Ont-ils
développé leur esprit scientifique ? Avons-nous les outils pour mesurer ces
phénomènes ? Ces questions se posent…
Avant de répondre à ces questions,
il faut d’abord regarder les conditions objectives dans lesquelles le programme
de sciences humaines est offert. Je dirais qu’en premier lieu, il faut
s’intéresser à qui on offre le programme. Nos étudiants ! Combien sont
réellement motivés ? Combien sont là de passage – en attendant de trouver leur
voie ?
En fait, bien que la « fonction
manifeste » des sciences humaines soit de transmettre un patrimoine important
de connaissances académiques, j’ai parfois l’impression que le programme sert
aussi de carrefour aux indécis, aux non décidés pas assez forts pour aller en
sciences nature, aux «drop in», etc… J’ai parfois l’impression que le programme
de sciences humaines a aussi une « fonction latente » importante dans le réseau
collégial : accueillir des clientèles diverses atterries en sciences
humaines «par défaut».
À la Commission de l’évaluation de
l’enseignement collégial (CEEC), on a reconnu l’éclectisme de la clientèle du
programme et son impact sur sa qualité:
Les élèves qui s’inscrivent en Sciences humaines
au collégial arrivent avec des résultats au secondaire très variables, ils
n’ont pas développé les mêmes habitudes de travail scolaire, ni la même
motivation à l’égard des études, plusieurs ont une bonne idée de leur
orientation future et de nombreux autres sont incertains de cette orientation, quand
ils ne choisissent pas le programme par défaut. Cette diversité dans la
préparation et l’orientation des élèves se reflète sur le taux de diplomation
et sur la qualité du programme.[1]
Étant donné la place particulière des
sciences humaines dans notre système d’éducation et dans la société, avons-nous les conditions pour attirer de
bons étudiants et bien servir ceux que nous avons (notamment ceux qui
choisissent ce programme par défaut…) ? Étudier en sciences humaines au cégep,
est-ce encore une voie attrayante et pertinente? Être professeur en sciences
humaines, est-ce mission impossible?
Lors d’une journée d’études qui
pourrait se tenir en janvier, nous aborderons ces questions. Pour de plus
amples informations, prochainement sur le blogue, vous pourrez prendre
connaissance du programme de la journée.
[1] Commission de
l’évaluation de l’enseignement collégial (CEEC). L’évaluation du programme de Sciences humaines au
collégial, [ En ligne
], 27 octobre 1997, http://www.ceec.gouv.qc.ca/fr/gen/CommuniqueTexte/ComScHumaines.pdf,
(page consulté le 15 novembre 2012)
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